En être ou ne pas en être? (ou comment discuter avec legugu du CRAP et de Ludovia)

L’Aigle vole seul; ce sont les corbeaux, les choucas et les étourneaux qui vont en groupe (John Webster) (je sais pas qui c’est).

Bon j’avais bien une idée pour la vidéo habituelle mais j’ai abandonné la recherche. De toute façon là c’est un billet sérieux dans la mesure du possible. Avertissement: toute ressemblance avec des personnages réels ou ayant existé est normale.

Ticeman

Bon Manu Gugu, tu vas m’expliquer un argument après l’autre pourquoi tu vas aller à Ludovia. je te répondrai pour chacun en t’expliquant pourquoi je n’irai pas.

Manu Gugu
J’ai décidé d’aller à Ludovia, l’an dernier. J’ai suivi les différents compte-rendus, dans les blogs et
sur Twitter, et il se dégageait une énergie formidable de tout ça. J’étais chez moi, et je me disais : mais merde, qu’est-ce que tu fais là ?

Ticeman
Ah oui, je me rappelle bien aussi de Ludovia 2010. J’étais chez moi à suivre principalement par Twitter les barcamps sympas et les conférences de Ludovia. J’ai adoré et pas mal participé par twitter. Pourtant je n’irai pas cette année non plus. Parce que s’il est vrai que tout cela a l’air sympa, tu ne crois pas qu’il y a quand même là-dedans, de l’intérêt plus commercial que pédagogique ?

MG
Le commercial, le pédagogique, oui, il faut y réfléchir.
C’est très important. La même question s’est posée à moi pour le forum de Moscou.
Mais en fait, il y a deux choses qui me poussent malgré tout à y aller, et c’est valable dans les deux cas, c’est que je crois qu’il faut essayer de comprendre ce système pour ensuite éventuellement pouvoir l’utiliser ou lutter contre lui, selon les cas.

T
Donc une de tes motivations pour participer à ce genre de réunions est de  lutter contre le système commercial ?. Remarque, tes pancartes à moscou en sont une démonstration. Mais lors de ces festivités, tu n’es pas à l’intérieur du système commercial, tu ne le connais pas. Les  commerciaux viennent faire de la pub. Tu ne vois rien de plus du système que si tu allais à Darty.

MG

Ces choses existent, les intérêts commerciaux autour de la pédagogie, il faut les regarder en face. Mais je suis aussi certain que nos démarches sont complémentaires : se rapporter à quelqu’un qui garde du recul c’est important, car dans ces événements il y a des effets de groupes puissants qui peuvent emmener loin.

T

Justement sur l’effet de groupe, que ce soit Ludovia ou les Rencontres du CRAP dont tu as parlé sur ton blog, ne penses tu pas qu’il se forme là une sorte d’illusion de l’avancée pédagogique par ces événements ?. Aller les amis, généralisons l’usage des réseaux sociaux, et puis après on fera griller des knackis autour d’un feu en chantant et puis si 95% du monde éducatif n’est pas prêt ce n’est pas grave, nous sommes 5% de bisounours. Je me souviens d’un de tes tweets où tu parlais de révolution dans l’éducation à Sainte Affrique. Crois tu qu’une bande d’une centaine de personnes passionnées par leur métier et envisageant des évolutions soient à la base d’une révolution dans notre domaine ? Pour moi, et c’est une raison pour lesquels je n’irais pas, c’est cet effet Loft Story, qui fait qu’à force de vivre en vase clos, on a tendance à croire ce qui n’est pas (mais je pense quand même que l’on y parle un peu mieux le Français dans ces rencontres).

MG

Ce que j’avais tweeté, c’est que j’aimais le fait que plutôt que de parler de révolutions, on envisage de la faire, de la commencer, tout de suite.
Sur l’effet d’un groupe de personnes, je suis tout à fait persuadé que oui, c’est possible d’initier ainsi des changements.
Ce n’est pas ce groupe qui va faire le changement, c’est le contexte.
À un moment donné, c’est de la dynamique, l’équilibre d’un système devient instable, et à ce moment on peut en donnant une impulsion obtenir des effets très importants (on peut même lancer un truc qui nous échappe totalement, ou se retourne contre nous).
Et j’ai une conviction profonde, de l’ordre de l’instinct, que j’aurai du mal à expliquer, qui est que maintenant nous approchons d’une de ces zones instables, d’un de ces points de bifurcation qui peuvent tout changer.

T
C’est marrant, je suis aussi convaincu que l’on se trouve dans une période de transition. Tu es un grand optimiste mais cela ne m’étonne pas quelque part vu ton côté sentimental. J’ai une vision plutôt alarmiste de la chose qui est un argument pour ne pas participer. Je crois que cette période de transition n’est pas du tout favorable à l’évolution de l’éducation. Et c’est aussi pour cela que je me méfie des ludovia & co. Une fois de plus l’effet groupe fait que l’on se cache la vérité. Il y a bien une transition mais elle mène vers un retour en arrière. Le but pour moi assez général des politiques mais aussi de la majorité des enseignants, est de couper l’herbe sous le pied des pédagos. Aujourd’hui plus personne ne se cache pour dire que ce qui arrive dans l’éduc nat est le résultat de ces pédagos à la Mila (coucou). Je ne citerai pas des forums de profs ou des blogs soit disant pédagos ici, mais désormais c’est public et ça a de l’écho. Et je n’aime pas avoir des illusions car je sais qu’en participant, j’aurais le même sentiment que toi même si c’est culcul et qu’invariablement je retrouverai ensuite ma même ZEP, mes mêmes collègues et leur même pédagogie à mémé (pas tous), les mêmes idées en salle des profs. Rien n’aura changé, sauf que j’aurais pris du bide à cause de la bière. Alors oui il y a une évolution mais elle est lente, très lente.

MG
Je crois que dans l’ensemble nos visions sont assez proches, et donc il faut voir où elles diffèrent.
Je crois que la différence, c’est que tu te places dans une optique de transition, de changements profonds mais dans une continuité des idées en place. Pour moi, on arrive dans une zone de puissantes turbulences, et je crois qu’on peut s’attendre à des bouleversements, des mutations profondes.
Le monde change à toute vitesse, les révolutions arabes en sont un exemple sidérant. Les secousses boursières, la montée  en puissance de l’Asie… Je pense donc que des choses vont bientôt se mettre en place, brutalement. Et ces choses, il y a peu de chances qu’on arrive à influer sur elles… Sauf, peut-être, avec un peu de bol, beaucoup d’instinct, et surtout un bon sens du timing. Il se peut que là, on arrive à proposer au bon moment, la bonne chose. Ça aura peut-être une petite influence… ou peut-être pas. Mais je pense qu’il faut essayer.

T
Je dois être beaucoup mois optimiste une fois encore. Tous ces changements certes sont un signe, mais sur l’avenir de l’éducation, qu’attendent les gens, les parents, la majorité des profs ? Ils attendent que l’on reviennent en arrière, à l’éducation à la papa, l’autorité. Ils ont peur et la peur ça ne conduit pas à des bonnes choses. Ils n’attendent pas seulement ce retour en arrière pour l’éducation, ils l’attendent pour tout. Ils rêvent du temps où Moktar gardait ses chèvres et fermait sa gueule devant un dictateur, ils rêvent d’un temps où les Chinois ne fabriquaient que des trucs pourris et des pyjamas qui brûlent, ils rêvent d’un temps où l’Europe était le centre du monde. Les gens veulent revenir en arrière et le premier lieu où ils veulent que cela arrive c’est à l’école. Alors tous ces pédagos qui se réunissent pour révolutionner l’éducation et faire baisser les résultats PISA et ben ils en veulent pas. Parce que tout ça c’est bien la faute à ces salauds de pédagos, hein?(Ckika inveté les compétences au lieu de faire apprendre par cœur, hein Cki ? Et je crois qu’en mettant ces événements en avant, on participe à cette peur.

MG
Ce qui fait aussi que je suis optimiste, c’est que j’ai vu que les collègues de mon établissement, qui au départ correspondaient tout à fait à ta description, ont totalement changé (pas tous) quand on leur a montré avec Colvert, notre projet interdisciplinaire de journal, qu’il pouvait exister une alternative crédible, faisable.
La dynamique est partie de là… et quand j’y repense, elle est partie de presque rien. Et il y a eu une inversion : ceux qui ont sauté le pas ont pris le dessus, les autres se sont recroquevillés, sont partis, ou sont en train de se rapprocher de nous.

T
Et tu crois que ta participation aux sauteries pédagogiques a un lien avec cette évolution et ce projet Colvert ? Crois tu que l’impulsion est venu de là ou que tu l’avais en toi. Vient-elle de Twitter ?

MG

C’était en moi, ça a démarré dans des circonstances un peu dingues, et ensuite il y a eu twitter, le réseau, elab, et les rencontres IRL… et dans les sauteries, il y a les rencontres. Et des rencontres avec des gens qui ne sont pas connectés. Je pense que peut-être c’est ça le plus important.

T

Pour moi réunion de profs, ça rime invariablement à discussions sur la difficulté du métier, plaintes souvent injustifiées (Kevin il a jamais ses affaires c’est invivable ! ,et y’en a qui rendent jamais leurs devoirs, comment que je fais moi pour avancer). Tu sais, bossant dans un bahut à peu près du même style que le mien, à quel point il est pénible d’entendre ces plaintes.

MG
Dans une rencontre, les gens ont traversé la France pour une raison. On se retrouve donc au delà de ce problème de salle des profs. On ne se dit pas : est-ce qu’il faut travailler en groupes. On travaille en groupes. On ne se dit pas : est-ce qu’on va travailler par compétences, on met des activités en place pour le faire.

T

Mais pour le coup, on retrouve le côté vase clos. Y-a-t-il des discussions, des débats ? Parce que sans se prendre à la gorge c’est quand même bien d’avoir des points du vue au moins légèrement différents pour faire avancer les choses. Et c’est même carrément bien de se prendre à la gorge parfois

MG

Tu as raison, il y a cette tendance, d’autant plus qu’il y a des collègues qui sont dans les mouvements depuis longtemps, qui se connaissent bien, etc… Mais c’est le rôle des nouveaux de venir et de secouer le cocotier, de dire qu’on ne peut pas passer notre temps à se goberger et qu’il faut dialoguer, et aussi entendre les arguments, les stratégies des adversaires. Et si ce ne sont pas des cons, ils acceptent les nouveaux, les écoutent, les intègrent. Au CRAP ce ne sont pas des cons.

T

Bon au moins une sauterie à envisager alors. Allez, pour finir, Gugu, il faut que tu lâches un truc ! Que s’est-il passé avec les clowns ? De ta réponse je promets de décider de ma participation aux futures sauteries.

MG

Avec les clowns, on a appris à regarder les autres, on a appris à se donner sans calculer, on a appris la valeur du silence… Et à la fin on était capables de dialoguer sans parler.

T

un peu comme pour dire à ta femme d’aller chercher une bière juste d’un regard ?Bon ben si on apprend ça, je vais beaucoup bouger l’année prochaine !

MG

Ouais, mais attention… A la fin, les clowns, on était tous déchirés. On s’était sorti les tripes comme c’est pas croyable. Du coup, c’est pas facile de reprendre pied ensuite…

Mais c’est humain. Et ce qui vaudrait le plus de faire le voyage dans ce genre de rassemblement, c’est bien l’humain. Et ça, ça ne commence que lorsqu’on peut regarder quelqu’un dans les yeux…

2 réflexions sur « En être ou ne pas en être? (ou comment discuter avec legugu du CRAP et de Ludovia) »

  1. Ce qui me laisse rêveuse, c’est que tu penses qu’on ne puisse rien changer car il serait trop dur de tout changer. Pour commencer, il faut juste bouger un peu, et tout le reste suit. C’est pas si difficile. Un peu comme dans cette légende où le colibri fait sa minuscule part du travail pour éteindre un incendie de forêt. Si chacun y met du sien, ne peut-on y parvenir ?
    Dans ces rencontres, on trouve plein de colibris qui font leur part dans leur coin. ça fait du bien de se retrouver et de voir qu’on n’est pas seul à essayer. Peut-être seulement essayer, mais ne pas rester à regarder le monde s’écrouler en disant qu’on ne peut rien y faire.

    • La question n’est pas de bouger ou pas! la question est de ne pas affoler la majorité en voulant aller trop vite. Si je pensais que l’on ne peut rien changer, j’aurai abandonner depuis longtemps. Je pense juste que les colibris sont plus en voie d’extinction qu’en pleine expansion

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